Analyse

Appel à la régularisation des sans-papiers
La crise sanitaire du coronavirus a fait de nombreuses victimes. Certaines demeurent invisibles dans la politique de lutte contre la propagation du virus : les migrant·es en situation de séjour illégal. Par définition, ces personnes sans-papiers sont invisibles puisqu'elles ne sont pas reconnues par l'administration. Parmi elles, de nombreuses familles avec des enfants mineurs. Elles se retrouvent dans une situation encore plus intenable suite au confinement et à l’arrêt d’une bonne partie de notre économie. Les associations qui n’ont pas été contraintes de fermer leurs portes et la générosité de citoyens ont tenté de leur venir en aide. Le déconfinement est progressif, plusieurs secteurs économique ne sont toujours pas relancés et le risque d’un nouveau confinement en cas de nouvelle vague de contamination n’est pas à exclure.
Les sans-papiers constituent un groupe particulièrement vulnérable en raison des difficultés pour accéder aux soins de santé, à l’impossibilité d’obtenir une quelconque aide sociale ou des indemnités de chômage. Les enfants mineurs n’ont pas ou presque plus la possibilité de bénéficier d’une éducation continue en raison de la fracture numérique et de la difficulté pour les enseignants de garder le contact durant la fermeture des écoles.
En raison de la pandémie, ces personnes se trouvent dans l’impossibilité de quitter le territoire. Il n’existe aucune perspective raisonnable de retour puisque les déplacement internationaux sont fortement déconseillés, voire interdits, et que les transports sont pratiquement à l’arrêt. Les familles sont confinées chez elles ou dans des occupations et des squats. Ces femmes, ces enfants et ces hommes vivent parfois nombreux dans le même logement dans de mauvaises conditions d’hygiène.
De nombreuses associations, des membres de la société civile, des parlementaires et des experts sont montés au créneau pour demander une régularisation, à tout le moins temporaire, des sans-papiers à l’instar d’autres pays européens[1]. Ceux-ci ont rapidement pris des mesures pour permettre aux personnes sans-papiers d’avoir accès aux soins de santé facilement et sans crainte, de bénéficier de droits sociaux, et ce durant toute la crise sanitaire qui est loin d’être terminée. Une carte blanche a été adressée au gouvernement par deux avocates belges afin d’appeler le gouvernement à régulariser les sans-papiers sans modifier la loi, pour des raisons de santé publique, humanitaires et économiques[2].
Ne pas régulariser rapidement les sans-papiers met en péril la santé de tous les citoyens. Une stratégie collective de confinement et de déconfinement qui ne tient pas compte de cette population vulnérable n’a pas de sens. Il est impossible de rester « à la maison » si on n’a pas de maison. Les 300 personnes en séjour illégal qui ont été libérées des centres fermés pour essayer de diminuer le nombre des personnes enfermées ont été mises à la rue. L’Office des étrangers continue à notifier des ordres de quitter le territoire alors que les frontières sont fermées et qu’il est quasi impossible de procéder à des expulsions vers des pays tiers puisque la plupart des avions sont cloués au sol.
La Ligue des familles se joint aux revendications des acteurs de terrain et à la demande de délivrance d’un titre de séjour temporaire afin que toutes les personnes sans-papiers puissent respecter correctement les mesures de (dé)confinement et disposer d’une couverture médicale et sociale en attendant l’examen de leurs demandes de séjour sur le fond. Une régularisation rapide et humaine ne nécessite pas l’adoption ou une modification de la loi puisque l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers[3] permet à l’Office des Étrangers de régulariser les étranger.ère.s si des circonstances exceptionnelles les empêchent d’introduire une demande de séjour dans leur pays d’origine. La crise sanitaire actuelle constitue incontestablement des circonstances exceptionnelles qui empêchent les sans-papiers de retourner dans leur pays d’origine.
Enfin, aucune consigne quant à une régularisation définitive n’a été adoptée depuis 2009. Le gouvernement fédéral doit également se saisir de l'opportunité d'une régularisation des personnes sans-papiers à travers un mécanisme et des critères au fond à définir avec le milieu associatif, les partenaires sociaux et les acteurs économiques. Celle-ci ne sera pas temporaire et permettra aux familles qui résident depuis de longues années sur le territoire belge de sortir du désespoir et de donner un avenir à leurs enfants.
[1] La Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRÉ), la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB), la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), le Centre d'Éducation Populaire André Genot (CEPAG), le MOC et son alter ego au nord du pays (Beweging.net) se sont rassemblés autour de cette demande d’assouplissement de la procédure de séjour.
[2] Le Soir, « Lettre ouverte à Madame Wilmès : « La régularisation des sans-papiers n’apporte que des avantages », 1er mai 2020, disponible sur : https://plus.lesoir.be/298157/article/2020-05-01/lettre-ouverte-madame-wilmes-la-regularisation-du-sejour-des-sans-papiers.
[3] Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B. 31 décembre 1980. Ci-après « loi sur les étrangers » ou « loi de 1980 ».