Lutte contre la pandémie oblige, les écoles ne dispenseront pas de leçon avant la fin des vacances de Pâques, peut-être plus si la situation actuelle de confinement devait perdurer. Que faire de la question des apprentissages alors ? Ne rien faire et laisser se perdre un précieux temps d’apprentissage ? Ou alors, faire réaliser du travail à domicile, peut-être sous la forme d’e-learning. La situation étant inédite, il serait fort présomptueux de pouvoir apporter une réponse tranchée à cette question.

Alors, la Ligue des familles et le Comité des Élèves Francophones tiennent à exprimer certains besoins et inquiétudes des parents et élèves et ainsi poser certains éléments de réponses. Evidemment, beaucoup de parents se demandent comment occuper leurs enfants pendant ces semaines de confinement mais également comment faire pour que ce temps ne soit pas perdu en termes d’apprentissage. Chacun·e aimerait que son quotidien soit le moins bouleversé possible par cette période de confinement. Pour les enseignant.e.s aussi, cette situation est inédite doit susciter de nombreux questionnements. Donner ou ne pas donner du travail à domicile : telle est la question.

La réalité des familles

Dans sa communication aux écoles, la Ministre de l’Education indique que "des travaux à domicile peuvent être prévus (…) tout en respectant certaines balises dans un souci d’assurer une égalité devant les apprentissages". Parmi ces balises, on retrouve l’interdiction de faire réaliser des travaux portant "sur des apprentissages qui n’ont pas été abordés préalablement en classe", mais également que le temps de travail doit être raisonnable et l’aide des parents ne doit en aucun cas être nécessaire. Et pour cause, l’externalisation du travail scolaire vers la sphère privée, familiale n’est pas anodine et sans conséquence.

Pourtant, malgré les balises claires donnée par la Ministre Désir, on voit déjà nombre de problème se poser dans la réalité des familles. D’abord parce que la charge de travail est parfois, voire souvent, disproportionnée en regard de l’organisation actuelle des familles et de l’autonomie pédagogique des enfants. Par conséquent, les parents sont débordés et, dans certains cas, le burn out parental s’installe ou s’accentue. Pire encore, d’après les premiers résultats de l’enquête du Comité des élèves francophones, près d’un enfant sur deux reçoit de la nouvelle matière ! De quoi creuser d’avantage les inégalités scolaires et sociales en cédant à la frénésie de la mise à la tâche sans relâche.

On peut imaginer que les enseignants soient soumis à des injonctions contradictoires auxquelles il leur est difficile de répondre : entre les consignes de la Ministre, de leur direction, les demandes et inquiétudes légitimes de parents, leur souci de mener à bien leur mission, y compris à distance, etc.

Le spectre des inégalités

Il n’existe pas de "bons" et de "mauvais" parents, aucun parent ne néglige la scolarité de ses enfants. Une écrasante majorité de parents s’inquiète pour l’avenir de ses enfants. Mais, au-delà de cet intérêt qui rassemble les parents, il y a le spectre des inégalités qui hante les relations famille/école. De fait, tous les parents ne disposent pas des mêmes outils à mettre au service de la scolarité de leurs enfants. Certains disposent d’un important capital culturel, sont à même de saisir les codes culturels de l’école et peuvent donc accompagner directement leur(s) enfant(s). D’autres, en temps normal du moins, disposent de moyens financiers leur permettant de faire appel à un soutien scolaire privé. Tous n’ont pas ce privilège. D’autant plus que la situation actuelle crée des inégalités dans la disponibilité temporelle des parents. Tous ne peuvent s’absenter du travail, certains télétravaillent et manquent de temps pour assurer le suivi scolaire, d’autres sont hospitalisés, etc. Or, pour accompagner efficacement son enfant, encore faut-il pouvoir être là. Trouverions-nous juste que les enfants du personnel soignant, qui se bat nuit et jour pour la survie de nos concitoyens, se voient pénalisés ?

Il ne faut pas oublier que le travail scolaire à domicile nécessite un cadre matériel favorable à l’apprentissage : disposer d’un bureau, d’une connexion internet, de calme, de matériel soutenant les travaux et apprentissages sont autant d’éléments déterminants. Ici également, la variété de situations familiales fait que les élèves qui fréquentent une même école sont loin d’avoir le même accès et les mêmes opportunités en matière de cadre de travail hors les murs de l’école.

Faire porter la responsabilité de l’échec sur les parents

Ainsi, le renvoi du travail scolaire – qu’il s’agisse de délégation ou d’externalisation – vers la sphère familiale renforce les inégalités et a tendance à faire porter la responsabilité de l’échec sur les parents. Ainsi, les différentes études menées sur le travail scolaire à domicile montrent qu’il n’aide pas ou peu les élèves à apprendre et qu’il contribue à davantage creuser les inégalités entre enfants issus de familles à revenus modestes et enfants issus de familles à revenus moyens ou aisés.

Les enseignants sont des professionnels formés, qui disposent d’outils et de connaissances dont tous les parents ne disposent pas et, à plus forte raison, leur enfant non plus. C’est pour cette raison que le recours au travail à domicile, sans conscience du caractère inégalitaire de la pratique, pourrait être dévastateur. A la Ligue des familles, nous croyons à l’éducabilité de chacun·e, pas à la science infuse. Nous sommes convaincus que chaque enfant a la capacité d’apprendre, mais que ce potentiel ne peut se réaliser que dans les bonnes conditions matérielles : avec un accompagnement correct et un cadre d’apprentissage adapté.

En conclusion, il nous faut penser aux enfants dont les familles n’ont pas les possibilités d’accompagner le travail scolaire, dont le cadre de travail ne permettra pas d’apprendre sereinement. Ce sont ces enfants et leur conditions familiales qui doivent être l’étalon dans la confection des activités.