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Le monde de la justice utilise encore le pseudo-concept de l’aliénation parentale pour discréditer les accusations de violences formulées par un enfant ou un parent, principalement les mères, dans les séparations difficiles et les conflits relatifs à la garde des enfants. Ce concept controversé et largement critiqué pour son manque de fondement scientifique et empirique reste malgré tout largement d’application dans notre pays. En 2024, des chercheuses ont identifié 59 décisions de justice récentes mobilisant le syndrome. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : les jugements publiés, or la plupart ne le sont pas. Certains juges sont allés jusqu’à priver la mère de la garde de son enfant suite à l’invocation de l’aliénation parentale.
Lorsqu’un enfant refuse d’avoir des contacts avec l’un de ses parents et l’accuse de violences, le parent violent reproche parfois à l’autre d’être aliénant. L’aliénation parentale consisterait en une manipulation de l’enfant pour lui faire croire qu’il a été victime ou témoin de violences familiales dans le but d’obtenir la garde. La parole de l’enfant est alors écartée par la justice au motif qu’il aurait subi « un lavage de cerveau », et sa sécurité est mise en danger.
Pour la Ligue des familles, l’invocation de l’aliénation parentale est inacceptable, viole l’intérêt supérieur de l’enfant et ne devrait plus être possible devant les tribunaux familiaux, de la jeunesse ainsi que dans les cabinets médicaux. Bien que le parent accusé ait le droit de se défendre et reste présumé innocent, la parole de l'enfant ne peut pas automatiquement être niée sur base d’un concept sans aucun fondement scientifique. L’enfant et son intérêt supérieur doivent prévaloir sur le droit des parents à garder des contacts avec celui-ci.
Les accusations de violences et le refus de voir un parent suite à la séparation
Dans le cadre d’une séparation conflictuelle, il arrive qu’un enfant accuse l’un de ses parents de violences, refuse catégoriquement de le voir et formule des reproches qui peuvent faire penser à un discours appris de l’autre parent. Depuis les années 80, le pseudo-concept de « l’aliénation parentale » a fait son apparition devant les tribunaux et dans les cabinets médicaux pour expliquer ces situations. Ce concept remet en cause les accusations de violences psychologiques, physiques ou sexuelles portées par un enfant contre un de ses parents.
Lorsque l’aliénation parentale est mobilisée, le parent qui s’oppose à un hébergement chez l’autre ou qui demande une autorité parentale exclusive, au motif que l’enfant dit que des faits de violences se sont produits, est accusé de manipuler celui-ci. Dans certains cas, ce parent, pour ne pas dire la mère puisque ce sont la plupart du temps les femmes qui sont concernées, risque même de perdre totalement la garde de l’enfant alors qu’elles essaient de le protéger. Ces mères sont qualifiées d’affabulatrices, d’être toxiques, aliénantes par le parent violent qui leur reproche d’avoir « lavé le cerveau » de l’enfant pour lui faire croire qu’il a été victime ou témoin de violences familiales dans le but d’obtenir la garde. L’enfant, influencé par le parent accusé d'aliénation, serait incapable de maintenir une relation avec l’autre parent selon Richard Gardner, le psychologue à l’origine de ce concept.
L’aliénation parentale : un concept qui n’a aucun fondement scientifique…
La théorie de l’aliénation parentale développée par un psychologue américain, Richard Gardner, fait l’objet de nombreuses critiques, tant en Belgique qu’à l’étranger. Elles portent sur l’absence de fondements scientifiques et empiriques dans l’élaboration du diagnostic et sur les propositions pour « déprogrammer les enfants ». Le psychologue a imaginé ce concept uniquement sur base de ses considérations personnelles et ses observations cliniques
… balayé par les institutions internationales…
Tant les juges de la Cour européenne des Droits de l’Homme, que le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l’Europe et la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles s’inquiètent concernant les conséquences de l’invocation de l’aliénation parentale devant les juridictions familiales sur les enfants, et dénoncent l’utilisation abusive d’un syndrome non scientifiquement prouvé pour trancher les litiges relatifs à la garde des enfants. La rapporteuse des Nations-Unies recommande aux Etats d’interdire l’invocation de l’aliénation parentale ou de pseudo-concepts du même type dans les affaires relevant du droit de la famille, ainsi que le recours à de prétendus experts en aliénation parentale.
Il est intéressant de souligner que les accusations de violences formulées par des enfants sont très rarement, pour ne pas dire presque jamais, non fondées. Dans une étude canadienne qui a analysé 7.672 cas de maltraitances sur des enfants signalées aux services sociaux, seulement 2 dénonciations étaient fausses. Bien sûr, un parent accusé de violences reste présumé innocent. Mais les accusations de violences formulées par une enfant ou un parent ne peuvent pas être balayées d’un revers de la main au motif que le parent serait « aliénant ».
…et qui a pour conséquence de nier la parole de l’enfant
La Ligue des familles ne nie pas qu’un enfant puisse être entraîné dans le conflit qui existe entre ses parents, ce qui lui cause une souffrance profonde. Ce conflit peut être renforcé par l’attitude -involontaire ou non- des parents, par exemple en cas de dénigrement de l’ex-partenaire, de ses nouveaux choix de vie, de sa manière de s’occuper de l’enfant, etc. Cette situation peut avoir pour conséquence que l’enfant ait le sentiment de devoir choisir et souhaite limiter les contacts avec un de ses parents ou refuser de se rendre chez lui.
Les professionnel·le·s doivent comprendre et investiguer les raisons du rejet d’un parent lorsqu’un enfant dénonce qu’il est victime de violences plutôt que de simplifier ces situations complexes par l’invocation de l’aliénation parentale en considérant que l’enfant ne dit pas la vérité et qu’il est influencé par un des parents. C’est plus que nécessaire lorsque des faits de violences sont dénoncés.
Prenons un exemple judiciaire concret : dans une affaire concernant l’hébergement d’enfants dans laquelle la mère expliquait aux juges qu’ils étaient victimes d’abus sexuels par leur père, la Cour d’appel de Mons a jugé que les éléments médicaux n’étaient pas des preuves suffisantes et que « les dires des enfants sont à examiner avec circonspection, ceux-ci étant manifestement influencés par leur mère et une aliénation parentale pouvant être suspectée ». Pour ces motifs, la mère qui essayait de protéger les enfants s’est vue retirer la garde : la Cour a jugé qu’il convenait d’accorder la garde exclusive au père en raison, notamment, d’une suspicion d’aliénation parentale, malgré les déclarations des enfants et les éléments médicaux du dossier.
Le ministre de la Justice n’a pris aucune mesure pour en finir avec le concept de l’aliénation parentale
Le ministre de la Justice utilise lui-même ce concept d’aliénation parentale
Jusqu’au plus haut niveau politique, des élus non seulement ne luttent pas contre l’utilisation de ce concept de l’aliénation parentale, malgré les recommandations internationales, mais pire, y recourent eux-mêmes.
Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice jusque fin 2023, avait publié un communiqué de presse dans lequel il mobilisait le concept d’aliénation parentale : il expliquait que si un parent refusait de « transférer » l'enfant à l’autre parent comme convenu, l'autre parent pouvait porter plainte auprès de la police pour que le parquet entame des poursuites judiciaires : « La possibilité de déposer une plainte est un élément important dans la lutte contre l’aliénation parentale. Je me réjouis grandement de voir que tous les acteurs judiciaires y prêteront une attention particulière en cette période ».
Ces dernières années, le ministre Van Quickenborne a par ailleurs été interpellé à plusieurs reprises concernant l’utilisation du concept de syndrome d’aliénation parentale par les cours et tribunaux.
L’Institut de formation judiciaire finance une formation qui promeut la reconnaissance de l’aliénation parentale
En 2021, l’Institut de formation judiciaire, organe fédéral indépendant chargé de la formation des magistrats, a participé aux frais d’une formation organisée par l’association « Parental Alienation Study Group », qui promeut la reconnaissance du syndrome d’aliénation parentale. Cette formation avait en partie pour but d’expliquer le pseudo-syndrome de l’aliénation parentale sans prendre aucun recul ni apporter de nuances. Interpellé à ce sujet au Parlement, le ministre Van Quickenborne a soutenu cette politique de formation en indiquant que : « force est de constater que certains enfants se trouvent séparés de l'un de leurs parents. Cette séparation peut avoir des répercussions sur leur bien-être et leur développement. Le but à atteindre dans le cadre de cette conférence était de trouver des solutions pour protéger ces liens familiaux ».
La Secrétaire d’État à l’égalité des chances et des genres, Sarah Schlitz, a invité le ministre à adresser une recommandation au monde judiciaire pour lui déconseiller de faire usage de ce concept et à organiser des formations à l’attention des avocats et magistrats, à l’instar de la France et d’autres pays. Ce dernier a répondu qu’il attirerait l’attention de l’Institut de formation judiciaire, qui propose des formations uniquement à destination des juges, sur la nécessité d’organiser régulièrement des séances de formation. Il a également souligné qu’une formation intitulée « risque de perte de lien entre parent et enfant, à savoir aliénation parentale » était déjà organisée. Or, à la lecture du titre, cette formation ne remet pas en cause la légitimité du pseudo-concept. Au contraire, les formations organisées par l’Institut de formation judiciaire ces dernières années ont fait « la promotion » du concept d’aliénation parentale sans mentionner les risques de l’usage de ce concept, sans apporter de nuances, ni expliquer les risques en cas de violences familiales.
La Ligue des familles dénonce l’inaction du ministre van Quickenborne sur cette problématique : il n’a pas adressé de recommandation officielle au monde judiciaire ni organisé de formations en droit de la famille à l’attention des avocats et magistrats.
L’interdiction d’utiliser ce concept et l’organisation de formations à destination du monde judiciaire et médical sont indispensables
Il est urgent de se conformer aux recommandations de la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, du Parlement européen, du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, de la Cour européenne des droits de l’homme et de nombreux spécialistes.
Très concrètement, la Ligue des familles appelle à protéger les enfants et les parents victimes de violences familiales :
- Interdire l’invocation du pseudo-concept de l’aliénation parentale et de concepts similaires devant les tribunaux
- Dans l’attente d’une loi qui interdit l’utilisation de l’aliénation parentale, adresser des recommandations fortes au monde judiciaire pour avertir les magistrats et le parquet de l’absence de fondement scientifique de ce concept et leur déconseiller d’en faire usage ainsi que tout autre concept similaire.
- Organiser des formations pour le parquet, les juges, les avocat·e·s et les médiateur·rice·s, ainsi que les professionnels de la santé (psychologues, psychiatres, experts auprès des Cours et Tribunaux, etc.) pour les informer du caractère non scientifique et genré de l’aliénation parentale, ainsi que sur la nécessité d’une prise en charge globale d’un enfant qui invoque des violences et refuse des contacts avec un de ses parents.