Étude

Où est passée la gratuité scolaire ?

La facture salée de l’école

La Ligue des familles a interrogé les parents pour connaître l’ampleur des coûts scolaires demandés en 2021-2022 et mettre à jour les données de sa dernière enquête complète sur la question menée il y a 5 ans. Résultat : les frais de fournitures scolaires restent très élevés, le coût lié au matériel informatique a explosé, l’enseignement qualifiant est le plus cher alors qu’il est fréquenté par les familles les plus précarisées, et de nombreuses règles ne sont pas respectées par les écoles.

La Ligue des familles appelle le gouvernement à avancer d’urgence sur la gratuité des fournitures en primaire et le plafonnement du coût des voyages scolaires, annoncés dans la  déclaration de politique communautaire en 2019, ainsi que sur un maximum à facturer pour les autres niveaux d’études en attendant la gratuité réelle de notre enseignement.

À trois reprises lors de l’année scolaire écoulée, la Ligue des familles a demandé aux parents combien ils payaient pour les frais scolaires. 1997 parents ont répondu au premier volet de cette enquête consacré aux frais de rentrée scolaire, puis 976 et 817 aux volets suivants, en janvier et en fin d’année, consacrés aux frais payés en cours d’année.

Le matériel informatique fait exploser le coût de la rentrée scolaire pour les familles

Hors matériel informatique, le coût moyen de la rentrée scolaire se monte, par enfant, à 255€ en primaire et 428€ en secondaire*.

Quelques constats :

  • C’est l’enseignement qualifiant qui coûte le plus aux familles. Les frais liés aux options (menuiserie, hôtellerie…) font énormément grimper la facture : la rentrée scolaire coûte en moyenne 627€ dans le secondaire technique de qualification et 689€ dans le professionnel (et même plus de 1000€ quand l’école demande en plus du matériel informatique), contre 428€ dans l’enseignement général ou technique de transition. C’est la double peine pour les familles concernées : l’enseignement qualifiant est davantage fréquenté par les élèves de milieux populaires, et c’est là que les factures sont les plus élevées.
    "En 5ème professionnelle section bois, on a dû acheter beaucoup d’outils en début d’année car ils n’étaient plus fournis par l’école, pour un coût d’environ 1000 euros. La liste était fournie en juin, ce qui a permis d’acheter le matériel sur 3 mois », témoigne une famille en commentaire libre dans l’enquête.
  • Le matériel informatique demandé par l’école alourdit considérablement la facture (de 70% pour les élèves du secondaire et de 90% pour les élèves du primaire). Or, pour plus de la moitié des élèves de secondaire (56%), l’école demande désormais un ordinateur. C’est aussi le cas pour 13% des enfants de primaire. Il y a 5 ans pourtant, nous relevions que quasi aucune famille ne devait payer pour du matériel informatique. Depuis, le Covid est passé par là. Mais aussi un changement législatif : fin 2020, les députés de la majorité ont autorisé les écoles à demander un équipement informatique payant aux élèves, ce qui était jusque-là interdit**. La demande des écoles ne peut être que facultative. Mais en pratique, cela coince : non seulement, pour près d’un quart des élèves, les écoles secondaires ont imposé l’achat de matériel informatique, ce qui est donc illégal, mais surtout, même lorsque l’achat d’un ordinateur était facultatif, il était difficile pour un parent d’envoyer son enfant à l’école sans qu’il dispose du même matériel que ses camarades de classe. Conséquence : les familles ont dû payer.
    « Les frais sont trop élevés : 60€ de photocopies et la location/achat d'un MacBook de +/- 300€ presque forcée alors que mon fils est en professionnel », témoigne un parent. « L’ordinateur, ce n’est pas écrit « obligatoire » mais plein de choses se passent par l’informatique et ne pas en avoir, c’est un vrai problème », indique un autre.
  • Les fournitures scolaires sont censées être gratuites en maternelle. Les écoles qui ne respectent pas la règle (voir infra) font toutefois encore payer en moyenne 45€ par enfant.
  • Il s’agit ici du montant par enfant. Une famille qui a un enfant dans l’enseignement professionnel et un en primaire doit par exemple débourser 944€ rien que pour le matériel de rentrée, à supposer que l’école ne demande pas d’acheter un ordinateur. A cela il faudra encore ajouter les frais demandés en cours d’année, le coût des excursions et voyages, les garderies…

Le coût, première raison de non-participation aux voyages scolaires après le Covid

Autre poste important : le coût des voyages. En raison du Covid, ils étaient interdits de novembre jusqu’aux congés de carnaval. Au second semestre, les voyages scolaires de 2-3 jours ont coûté en moyenne 132€ en maternelle (au-delà du plafond légal de 109€ pour toute la scolarité maternelle), 182€ en primaire et 258€ en secondaire. Mais avec des variations très importantes entre écoles : si un quart d’entre elles ont maintenu les coûts sous les 156€ en secondaire, un autre quart a organisé des voyages de 2-3 jours à plus de 408€.

Le coût est d’autant plus important évidemment pour les voyages de plus longue durée (plus de 3 jours) : en moyenne 312€ en primaire et 514€ en secondaire, mais plus de 693€ un quart des élèves du secondaire.

Les difficultés à payer le séjour sont la première raison de non-participation aux voyages scolaires cette année après les raisons liées au Covid-19 : un élève de secondaire sur 10 n’est pas parti en voyage scolaire à cause du coût du voyage.

« Les voyages scolaires sont déclarés obligatoires par l’école. Sachant qu’il y en a un à 600€ en 5ème secondaire et deux en 6ème (150 et 600€), ça fait un sacré budget », indique un parent.

Les frais scolaires hors de contrôle

Outre l’insuffisance du cadre légal et des moyens affectés aux écoles, il ressort de cette enquête une insuffisance du contrôle de la législation. Dans maints domaines, un nombre non négligeable d’écoles ne respecte pas la législation :

  • C’est le cas en ce qui concerne la gratuité des fournitures en maternelle : un élève de maternelle sur deux (49%) doit encore payer des frais de petit matériel.
  • Pas moins de 20% des élèves du secondaire doivent payer des frais d’inscription ou un minerval, sous forme de cotisation à une ASBL liée à l’école – pratique rigoureusement interdite.
  • Pour près d’un quart des élèves de secondaire, l’école rend obligatoire l’achat d’un ordinateur ou autre matériel informatique, alors que cela ne peut être que facultatif.
  • La majorité des écoles présentent les voyages scolaires comme obligatoires. Bien que la législation soit lacunaire à ce sujet, une circulaire ministérielle permet de comprendre qu’ils sont facultatifs, interprétation confirmée par la Ministre au Parlement cette année.

Gratuité des fournitures et maximum à facturer : les demandes de la Ligue des familles

À moins de deux ans de la fin de la législature, face aux difficultés rencontrées par les familles, la Ligue des familles appelle à :

  • Dans la foulée de la gratuité des fournitures en maternelle décidée par le gouvernement précédent, instaurer progressivement la gratuité des fournitures scolaires en 1ère et 2e primaire en 2023, puis ensuite pour chaque année de primaire. En fonction des options choisies, cela représente un coût entre 3,25 et 4,75 millions € par année d’étude – une somme relativement peu importante à l’échelle du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
  • Instaurer la gratuité de l’enseignement qualifiant dès la rentrée 2023 en augmentant les contributions des Régions au fonds d’équipement déjà existant.
  • Dans l’attente de la gratuité, appliquer aux autres niveaux d’études un « maximum à facturer » pour les fournitures scolaires, correspondant aux coûts moyens pratiqués aujourd’hui par niveau d’étude. Cela permettrait d’éviter les pratiques abusives et de réduire la facture pour un peu moins de la moitié des parents, sans coût pour les pouvoirs publics, en attendant une réelle gratuité.
  • Conformément à l’accord de gouvernement, plafonner dès 2023 les frais de voyages scolaires. La Ligue des familles propose de fixer le plafond au niveau du coût moyen pratiqué aujourd’hui, de manière à éviter les pratiques abusives tout en permettant l’organisation d’excursions et voyages en suffisance et de qualité.
  • Revenir à l’interdiction de réclamer du matériel informatique payant aux familles, qui existait jusqu’en 2020. Si une école estime que du matériel informatique est nécessaire à la réalisation des objectifs pédagogiques, elle doit prendre l’acquisition de ce matériel à sa charge avec les moyens consacrés par la Fédération Wallonie-Bruxelles (15 millions €/an).
  • Renforcer les contrôles et appliquer les sanctions.

 

* Ce montant recouvre tout le matériel demandé par l’école au moment de la rentrée et que les parents ont dû payer : fournitures de base (classeurs, blocs de feuilles, stylos…), manuels scolaires, matériel spécifique lié à l’option le cas échéant, matériel informatique si l’école le demande... Le cartable et le plumier en sont repris dans ce calcul que si les parents ont dû en acheter cette année-là (arrivée à l’école, changement de niveau d’enseignement, consignes spécifiques relatives au format du cartable…). Si les parents ont acheté du matériel d’occasion, c’est le coût de ce matériel qui est repris ici.

** Art. 1.7.2-2. §3 bis, Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, voté le 9 décembre 2020.

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