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Les oubliés du logement

Séparations, naissances, monoparentalité, remises en ménage influencent fortement les besoins en matière de logement. Comment ces situations sont-elles prises en compte pour l’octroi d’un logement public, d’une allocation loyer, d’une prime, d’une réduction de précompte immobilier, d’un avantage lors de l’achat d’un logement ?

La Ligue des familles a analysé l’adéquation des politiques du logement wallonnes et bruxelloises avec les réalités familiales et a constaté que de nombreuses situations familiales n’étaient pas prises en compte dans les législations, laissant des familles dans le besoin.

Selon que les familles s’adressent à une société de logement ou à une autre, à une agence immobilière sociale ou à une autre, à une administration ou à une autre, les réponses et les aides fournies sont, à situation familiale égale, très différentes.

C’est ainsi que certains parents séparés qui ont leurs enfants en garde alternée n’ont pas droit à un logement social ou à certaines aides, car leurs enfants ne sont pas considérés comme à leur charge. Que le plafonnement du nombre d’enfants à charge, pratiqué dans plusieurs politiques du logement, empêche les familles nombreuses d’être correctement soutenues. Que l’obligation d’occuper un logement pendant plusieurs années après l’achat met en difficulté des couples qui se séparent ou recomposent leur famille.

Les parcours familiaux ont évolué au fil du temps et les législations n’ont pas toujours suivi. En pratique, les sociétés de logement et les administrations se sont parfois adaptées à certaines évolutions familiales (notamment les gardes alternées), mais elles le font toutes de manières différentes. A situation égale, des familles peuvent donc être soutenues ou pas, selon l’organisme auquel elles s’adressent. La Ligue des familles appelle les gouvernements régionaux à une meilleure prise en compte de ces réalités familiales dans les législations afin que des familles ne soient plus privées de leurs droits. 

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Cet article présente un résumé de l'étude logement publiée ce 18 novembre 2022 par la Ligue des familles.
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Les politiques du logement analysées

La Ligue des familles a analysé, sous l’angle « familles », les politiques suivantes en Wallonie et à Bruxelles :   

  • Les baux habitation,
  • Les allocations loyers,
  • Les politiques d’aides à l’acquisition : abattement sur les droits d’enregistrement, chèque habitat,  
  • Le logement public (SLSP, SISP),
  • Les agences immobilières sociales (AIS),
  • Les Fonds du logement, Citydev et la Société wallonne du crédit social,
  • Les primes et prêts à la rénovation et à l’énergie,
  • Le précompte immobilier.

Il faut tout d’abord souligner quelques éléments positifs. Dans la quasi-totalité des politiques étudiées, à l’exception des politiques concernant le bail habitation, la présence d’enfants au sein du ménage est prise en compte, que ce soit via une augmentation des plafonds de revenus pris en compte ou dans le calcul de l’aide. D’autre part, certaines politiques prennent en compte la situation particulière des familles pour leur accorder des aides supplémentaires : les familles monoparentales perçoivent une allocation loyer supérieure à Bruxelles ou voient leur plafond de revenus augmenter dans la prise en compte des primes Renolution à Bruxelles également.

Les politiques du logement analysées

Les gardes alternées très mal prises en compte

La notion d’enfant à charge est essentielle pour les familles dans les politiques du logement. De celle-ci dépend le droit à avoir un logement social avec suffisamment de chambres, un montant d’allocation loyer adapté à la situation familiale, etc.

Or la définition d’enfant à charge est très variable d’une politique du logement à l’autre. Dans une législation, ce sont les enfants repris sur l’avertissement-extrait de rôle (ex : le chèque habitat). Dans une autre, ce sont les enfants pour lesquels les parents perçoivent les allocations familiales (ex : les sociétés de logement public bruxelloises).

En outre, la pratique est parfois différente de ce que prévoit la législation. Ainsi, pour la délivrance de l’allocation loyer bruxelloise, la législation prévoit que les enfants bénéficiant d’allocations familiales sont pris en compte. Or l’administration nous a indiqué ne prendre en compte que les compositions de ménage et aucun autre document. 

La plupart des législations ne traitent pas la question des parents séparés qui pratiquent la garde alternée des enfants. Les différents organismes (sociétés de logement, administrations…) se sont adaptés au fil du temps pour leur octroyer malgré tout des aides, ce qui génère des pratiques de terrain très différentes.

Des parents qui ont des enfants en garde alternée n’ont pas droit à des aides au logement adaptées

Quand des parents séparés partagent l’hébergement des enfants, ces enfants sont souvent considérés comme à charge d’un seul parent. Des familles monoparentales, des parents séparés, des familles recomposées ne peuvent donc pas bénéficier d’aides au logement, car leurs enfants ne sont pas reconnus comme étant à leur charge, même s’ils le sont dans les faits.

  • Un seul des parents séparés peut en effet reprendre ses enfants dans sa déclaration d’impôts[1].
  • Un seul parent reçoit également les allocations familiales[2].
  • Enfin, les enfants ne peuvent être domiciliés qu’à un seul endroit et sont donc repris sur la composition de ménage d’un seul parent.

[1] Sauf en cas de coparentalité fiscale, un régime inaccessible à de nombreux parents car il n’est possible qu’en cas d’hébergement alterné 100% égalitaire et si cet hébergement a été réglé par une décision de justice ou un accord homologué par la justice ou enregistré au SPF Finances.

[2] Sauf si un jugement prévoit autre chose.

D’une société de logement à l’autre, des règles qui changent

Dans certaines politiques du logement, les pratiques de terrain se sont parfois adaptées au fil du temps pour permettre aux parents séparés d’avoir mieux accès aux aides. Au sein d’une même politique, on retrouve donc des pratiques différentes selon les administrations ou les organismes.

Nous avons appelé 5 sociétés de logement public bruxelloises (SISP). Certaines acceptent, comme preuve qu’un enfant est à charge, les jugements, conventions notariées ou d’un médiateur organisant un hébergement alterné, tandis que d’autres pas. L’une d’entre elles n’acceptait comme preuve que l’attestation d’allocations familiales. Une autre encore acceptait un écrit signé par les parents (avec photocopie de la carte d’identité) précisant le mode de garde si les parents n’avaient pas de document officiel.

En Wallonie, on retrouve cette même incertitude auprès des Sociétés de Logement de Service Public : nous avons également constaté des pratiques différentes selon la société appelée. 

Des décisions au cas par cas qui génèrent de l’incertitude pour les parents

Plusieurs législations ou règlements prévoient, selon les cas, que le Ministre, le Conseil d’Administration, l’administration peut considérer que les enfants sont à charge même dans les cas non prévus par la législation, à condition que le parent en apporte la preuve ou sur base d’un accord homologué ou enregistré instaurant une garde partagée. On pourrait saluer la souplesse de ces dispositions, qui devraient théoriquement permettre de mieux prendre en compte les différentes situations. Mais en réalité, elles posent problème à plusieurs niveaux :

  • De très nombreux parents séparés ne recourent à aucun document officiel pour organiser la garde des enfants. Selon le Baromètre des parents (sondage Ipsos), 54% des parents ont conclu un accord à l’amiable quand seulement 31% sont passés par la justice et 6% par la médiation [1]. Or les accords amiables sont rarement pris en considération pour déterminer les enfants à charge.
  • Ces dispositions sont génératrices d’incertitude pour les parents qui doivent attendre la décision de l’autorité compétente pour savoir s’ils peuvent bénéficier d’une aide.

[1] Ligue des familles, 2020. Le Baromètre des parents 2020. Disponible à l’adresse : https://liguedesfamilles.be/article/barometre-des-parents-2020

Demandes de la Ligue des familles

  • Prise en compte des accords amiables entre parents séparés par tous les pouvoirs publics. Tout document établissant le mode d’hébergement des enfants, validé par les deux parents, doit être considéré comme preuve de résidence des enfants par les administrations. Cela suppose un travail administratif conséquent mais c’est la seule manière d’assurer que des parents séparés, parmi lesquels beaucoup de familles monoparentales, ne sont pas laissés pour compte ; 
  • Prise en compte de tous les enfants hébergés au minimum 25% du temps chez l’un des parents comme enfants à charge pour le calcul des revenus donnant droit à des aides au logement. Il s’agit de permettre aux parents séparés qui ont régulièrement la garde de leurs enfants de pouvoir loger décemment leurs enfants.  

L’obligation d’occuper un bien plusieurs années, inadaptée aux situations familiales qui évoluent

De nombreuses politiques du logement obligent les parents qui achètent un logement à en faire leur résidence principale pendant plusieurs années. C’est le cas des familles ayant bénéficié de l’abattement sur les droits d’enregistrement à Bruxelles, acquis un bien de Citydev ou du Fonds du logement bruxellois, obtenu des primes pour leur habitation. Ces durées varient : de 5 années pour l’abattement sur les droits d’enregistrement à 20 années pour les biens vendus par Citydev.

La Ligue des familles comprend le besoin de s’assurer que ces ménages qui ont bénéficié d’aides publiques ne dévoient pas ces politiques en revendant leur bien pour engranger une plus-value. Cependant, ces conditions d’occupation sont longues dans la vie d’une famille : si un enfant arrive, si le couple se sépare, si un parent se remet en ménage… le logement n’est plus toujours adapté à la configuration familiale.

Au regard des évolutions familiales, des exceptions pourraient être prévues en cas de décès, séparation, agrandissement de la famille et remise en ménage qui ne permettent plus d’occuper le bien. Malheureusement, peu de politiques du logement ont prévu ces cas de figure.

Par exemple pour l’abattement sur les droits d’enregistrement, en cas de non-respect du délai de 5 ans, les familles doivent restituer l’abattement (donc des milliers d’euros), sauf pour cas de force majeure. La force majeure est soumise à l’appréciation de l’administration fiscale, selon trois critères : l’imprévisibilité, l’inévitabilité et l’impossibilité de respecter l’obligation. Dans la jurisprudence, ni la (re)mise en ménage ni la naissance d’un enfant ne sont reprises. Et concernant la séparation ou le divorce (qui y sont inscrits), l’administration doit apprécier la « stabilité » du couple.

Entre 2013 et 2017, l’administration a constaté que 488 ménages n’ont pas maintenu de manière ininterrompue leur résidence principale dans un bien qui a bénéficié de l’abattement. La Ligue des familles a été interpellée par une maman dans cette situation. Après une remise en ménage, son logement de 85m² ne pouvait plus accueillir la nouvelle famille de 6 personnes (2 adultes, 2 adolescents et deux jeunes enfants). Cependant l’administration fiscale lui a réclamé le remboursement de son abattement. Pour cette maman, c’est une injustice qui pénalise les parents qui refont leur vie.

Pour d’autres politiques, ce sont les Conseils d’administration qui sont souverains. Leur jurisprudence est établie et les ventes/locations pour motifs familiaux semblent très souvent acceptées. Il n’en demeure pas moins que ces informations ne sont pas disponibles en ligne ni prévues dans la législation. Par exemple, même si la revente d’un logement Citydev pour motif familial est toujours accordée, elle fait l’objet d’un dossier avec justification et d’une approbation au Conseil d’Administration.

Demande de la Ligue des familles

Au minimum, la Ligue des familles demande que la durée minimale de résidence ne s’applique pas en cas de changement familial quand le logement n’est plus adapté : naissance, décès, adoption, recomposition familiale, séparation/divorce… Cela doit être prévu dans les législations et non examiné au cas par cas.

Cela permettra aux parents de retrouver un logement adapté à l’évolution de leurs situations familiales sans devoir rembourser des sommes élevées ou sans devoir attendre qu’un organe analyse leur dossier. Lors d’une séparation ou d’un décès en particulier, les parents doivent déjà effectuer de nombreuses démarches administratives ; il est important de leur simplifier la vie et de limiter les délais et incertitudes.

Plus fondamentalement, la Ligue des familles appelle à une réflexion sur cette durée de résidence obligatoire.

La limitation du nombre d’enfants à charge pénalise les familles nombreuses

La Ligue des familles a constaté l’existence d’un nombre maximum d’enfants considérés à charge dans plusieurs politiques, ce qui plafonne les aides [1]. Et ce nombre varie selon la politique étudiée : pour l’une c’est maximum 3 enfants à charge, pour l’autre 4 et dans d’autres cas, aucune limite n’est fixée. Par exemple, le Fonds bruxellois majore les revenus jusqu’à 4 personnes à charge pour l’octroi de crédit hypothécaire. Citydev n’a pas de limite, mais l’augmentation des revenus pris en compte par personne à charge est dégressive jusqu’à 2 enfants. Dans le cas des primes ECORENO bruxelloises, les revenus des familles pris en compte sont majorés de 5 000 euros par personne à charge avec un plafond à 15 000 euros (donc maximum 3 enfants à charge).

Ces limites pénalisent les familles nombreuses, voire très nombreuses, qui peuvent avoir du mal à trouver un logement adapté à leur composition familiale.

[1] Les personnes en situation de handicap sont comptabilisées comme deux personnes à charge.

Demande de la Ligue des familles

La Ligue des familles plaide pour la suppression de ces limitations.

Les autres demandes de la Ligue des familles

Plusieurs autres problèmes rendent difficiles l’accès et le maintien dans un logement décent et abordable pour les familles les plus précaires, les familles monoparentales, les familles recomposées et les familles nombreuses. La Ligue des familles appelle à :

  • Automatiser certaines politiques afin de lutter contre le non-recours : les allocations loyers, la réduction de précompte immobilier pour personne à charge.
  • Supprimer le statut de cohabitant afin de en pas pénaliser les familles qui optent pour certaines formes d’habitat : colocation, logement intergénérationnel, habitat groupé, habitat léger…
  • Ouvrir un débat sur les critères de peuplement. Dans de nombreuses politiques (logement public, AIS…), le nombre de chambre des logements octroyés dépend de la composition du ménage et de l’âge des enfants. Or cela peut être un frein à l’accès rapide à un logement décent et abordable pour les familles nombreuses. À Bruxelles, le délai d’attente pour un logement public de 4 chambres est de 14 ans et 5 mois. Si la Ligue des familles ne plaide en aucune façon pour l’occupation de logements publics ou semi-publics surpeuplés, il faut cependant constater que ces familles se retrouvent alors dans des logements privés suroccupés. Le problème ne disparait pas, il n’est que déplacé.
  • Faciliter l’accès à l’information. Pour de nombreuses politiques, l’accès à l’information nécessite une démarche du parent : appel téléphonique, prise de rendez-vous, envoi d’un mail. C’est le cas de nombreuses AIS wallonnes où il faut appeler chacune pour connaitre la procédure d’inscription.
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